Il semblait sortir d’un roman policier des années soixante-dix lu par un môme d’un futur post-apocalyptique quelconque. Avec son long manteau de la couleur blasé de la justice, un peu plus ocre. Avec ses cheveux longs rabattus d’un unique côté, laissant son crâne à moitié nu. Avec sa barbe mal rasée qui lui donne un air de « Je fais des heures supplémentaires par passion ». Avec son regard rempli de déni pour la vie qui transperce ses interlocuteurs.
Il sort de la poche de sa veste une boite d’argent terni par le temps, avec un petit mécanisme au niveau de la fente. Il frotte l’épiderme de son pouce contre les rainures du mécanisme avant de l’actionner. L’objet s’ouvre sur une rangée de cachets bordeaux en pagaille, d’un geste automatique il choisit le plus à droite avant de le mettre dans sa bouche. Le regard intrigué de la personne en face de lui ne lui échappe pas.
▬ C’est fabrication maison, ça m’aide à me détendre. J’vous en propose pas je suppose ? Il accompagne sa parole en tendant la boîte ouverte mais son interlocuteur s’empresse de refuser.
▬ En effet, ça n’aurait de toute manière aucun effet sur moi.Il range la boîte à sa place avant de reprendre son stylo en main et de poursuivre la raison de sa présence dans les quartiers des chasseurs. Il pose de nouveau ses yeux métalliques sur la légende qui lui fait face. Il n’avait pas l’habitude d’être impressionné, il avait fait son travail pour les plus grands héros et les pires amoraux de ce siècle, dans les deux mondes. Les ténèbres dans les yeux de cet homme sont éteintes.
▬ Karsteri, je vais être honnête, vous savez pourquoi je suis là. Ce que vous avez fait pourra tous nous aider un jour et c’est mon job de transmettre cette histoire à la population et à l’Administration. Est-ce que l’on peut …▬ Je vous arrête de suite, appelez-moi Psodem. Pas la peine d’en dire plus humain, je vais vous raconter ma légende ! Et il éclate d’un rire aussi sombre que le néant qui se tapit dans l’absolu. ***
Ma naissance tout comme mon existence est différente de tous les autres de mon espèce, évidemment. Évidemment je ne peux que vous dire que mon pouvoir n’est pas compatible avec le système censé nous accueillir en ce monde. Peu importe les complications, j’étais d’un naturel conciliant et je me suis montré coopérant.
C’est une drôle de sensation que de naître déjà accompli, dans mon cas j’avais cet étrange sentiment d’avoir les capacités du plus compétent des chasseurs. C’est naturellement que je me suis tourné vers eux et qu’ils m’ont accueilli.
Pourtant, et je vous le dis avec du recul, ce n’était pas pour cette chasse que j’étais fait. Le sentiment de sortir chasser ne s’est jamais atténué alors j’ai chassé de mon côté. Tous les soirs je sortais et je me retrouvais à rôder devant la Guilde sans savoir pourquoi. Déjà 30 jours que j’avais rejoint les rangs de ma meute, mais à cause de ce problème, je n’étais pas si bien intégré. Pourtant au vu de mon potentiel j’avais été assigné à la meute de Freya.
Un jour mon instinct ne m’a pas guidé vers le dortoir de la guilde mais au sommet d’une colline non loin, la lune éclairait mon chemin. Avant de la voir, j’ai entendu ses pleurs, je me suis senti… Comment dire la douleur que j’ai ressenti tout en comprenant que toute ma vie je n’avais cherché qu’à ressentir cette douleur ? Jaillissant de la clarté lunaire, sa voix brisa mon identité, dans une langue que je connaissais sans connaître.
‘‘Viens ici, tu oses enfin te montrer après tout ce temps ?’’Elle essuyait ses larmes avec ses mains pleines d’herbes alors je me suis élancé vers elle avec toute la puissance et la technique qui avait impressionné même la chef des chasseurs. Mes doigts se sont posés sur ses paupières, ne la laissant pas saccager encore plus ses yeux irrités.
Je vivais depuis deux mois déjà, mais c’est cette nuit-là que j’ai achevé ma naissance. Je passais la plus grande partie de mon temps avec elle, la guilde voyait d’un bon œil notre relation. Je ne m’étendrais pas trop sur ce sujet car c’est des souvenirs qui me sont chers, que je n’ai pas envie de partager pour le moment.
Elle était une petite humaine orpheline qui s’était réfugiée et perdue dans notre monde. Elle possédait un pouvoir des plus étranges, c’était la raison de ses pleurs quand je l’ai rencontrée. Mais j’ai mis bien trop de temps à m’en rendre compte. C’est elle qui m’a donné mon vrai nom d’ailleurs, c’est un peu ma Leliel personnelle. Ne soyez pas choqué, la plupart des chasseurs croient en des valeurs plus proches d’eux que ne le sera jamais Leliel.
***
Faisant une pause dans son récit, Karsteri commande ce nouvel alcool qui fait fureur chez les Eternels. Enfin son peuple peut découvrir les tourments de l’alcool ne peut s’empêcher de penser le journaliste en le voyant faire. Un éclat fugace, une lumière étouffée se dessine dans le fond du néant qui lui sert d’yeux. Le liquide s’écrase contre le vide au creux de sa bouche, refusant de rentrer en contact avec lui et coule le long d’une paroi invisible le long de son menton, de sa gorge, de ses vêtements, avant de s’écraser par terre. Pour la deuxième fois il entend le rire surnaturel de son invité.
▬ Satané gamine ! Mais après tout, tu as raison, je ne vais pas raconter t… notre histoire avec un verre d’alcool à la main.Il pose le verre à moitié vide sur la table avant de reprendre.
▬ On dirait que ma petite déesse personnelle veut que je continue mon récit sans plus tarder alors reprenons : ***
La plupart des personnes ont un pouvoir qui s’active et qui se désactive, ou un pouvoir passif, c’est le genre de choses qu’on nous apprend chez les chasseurs. On s’oppose rarement à nos semblables, Humains ou Eternels, mais ça peut arriver alors autant être prêt. Cependant il y a aussi des pouvoirs qui ont des conditions et qui sont un mélange d’activation et d’effet passif. C’était son cas.
Comme je vous l’expliquais on a toujours été lié tous les deux, alors j’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas. On était un peu avant l’aube quand mes sens m’ont réveillé, je me suis élancé sans même prendre le temps de m’habiller ou d’attraper une arme. J’étais encore un jeune louveteau alors. J’ai couru jusqu’à elle, mes mains et mes pieds étaient en sang alors que je fendais l’air m’éloignant de plus en plus de la civilisation. J’étais au cœur de la forêt avant de m’en rendre compte, avant de l’apercevoir dans sa chemise de nuit propre aux orphelins de la Guilde.
Tout s’est passé rapidement, les Monstres étaient là autour d’elle prêt à s’abattre comme un aigle en chasse alors j’ai sauté comme un loup protégeant sa meute. Nos yeux se sont croisés, ses grands yeux bleus teintés du reflet vert des feuillages, mes yeux d’ors effrayés.
Mon pouvoir a répondu à mes demandes folles, sans relâche j’ai matérialisé des murs de négaste pour bloquer les coups, pour essayer d’annuler leur force. Elle était là, dans mon dos, à me regarder lutter en vain. Je ne pouvais plus lui faire face, elle était déjà résolue alors que je continuais de lutter. Elle a murmuré des mots que je n’ai pas entendu, avant de s’évanouir en des milliers d’éclats de lumière. C’était un phénomène mystique mais envouteur, mais je l’ai toujours été quand on parlait d’elle. Alors la lumière m’a recouverte avant de s’éteindre.
Je ne savais pas ce qu’il se passait, j’étais fou de rage et de désespoir, je n’avais plus rien à défendre, alors je suis parti à l’attaque. J’ai fait l’arène la plus grande que je n’ai jamais invoqué, j’ai sorti mes griffes et je me suis battu.
Ils ont passés des heures à me passer à tabac, à essayer de me mordre, de me déchirer, de me transpercer mais sans succès. Ahahah. Tu sais pourquoi ? Cette gamine avait un drôle de pouvoir, celui de devenir un ange gardien, un daemon. Tu sais ce que c’est toi ?
J’ai fait des recherches depuis et je t’invite à faire pareil mais voilà ma vision du truc : Elle me protège selon son libre-arbitre depuis ce jour-là, je pense que c’est des anges qui ont trahi les cieux car ils sont tombés sous le charme des humains de votre monde. Ce n’est pas car ils sont tombés, ce n’est pas par pêché, c’est par amour.
J’ai beaucoup réfléchi, pourquoi une gamine serait allée dans la forêt ? La personne qu’elle protégeait avant ça a dû mourir, vu son âge elle ne vieillit que quand elle n’était pas sous sa forme de « gardien ». Elle devait être si seule. Et malgré ça, malgré son choix de se suicider, elle a préféré me sauver et d’infliger une éternité de tourment à nouveau, pour la pauvre bête que je suis.
***
▬ Voilà, tu connais mon secret ! J’ai le pouvoir de quelqu’un d’autre qui me protège… La solution pour vaincre ses putains de monstres, c’est de s’unir, de tout faire pour progresser, peu importe le prix.La voix puissante avait fait taire tous les autres bruits de la buvette, même le journaliste pourtant habitué à la pression avait ravalé sa salive. Depuis combien de temps n’avait-on pas vu quelqu’un annonçait qu’il allait vaincre les monstres et ne pas mourir dans les semaines qui suivaient ? Il était sérieux, il avait la puissance et l’intelligence pour y arriver. Et si ce n’était pas le cas, il l’obtiendrait.
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